Ce qu'il faut retenir de la réforme des rythmes scolaires de 2013 : une enseignante témoigne
VÉCU SUR LE TERRAIN
Elise, enseignante en maternelle
« Sur le papier, on s’est dit : « C’est génial pour les élèves ». Mais en pratique, ça s’est vite compliqué."
À l’époque, de la réforme de Peillon j’étais enseignante d’école maternelle dans le 91 depuis dix ans, et jeune directrice de l’École. L’objectif était de raccourcir les journées pour que les enfants aient accès à des activités intéressantes. Sur le papier, les profs comme les parents, on s’est dit : « C’est génial pour les élèves ». On nous a vendu la chronobiologie et les activités anglo-saxonnes. Tout ça, on y a cru.
Avec la réforme, on devait travailler le mercredi matin. Pour compenser, on avait le choix entre récupérer le vendredi après-midi ou finir plus tôt chaque jour. Après plusieurs réunions, la commune n'a pas voulu que l'on prenne le vendredi après-midi : pour elles, ce n’était pas possible, ça aurait demandé encore plus de périscolaire. Et puis, l’image des enseignants en Week-end, le vendredi midi ne passait pas …
Finalement, dans notre école on a fini à 15h15, et les animateurs récupéraient les enfants pour les activités.
"Les activités périscolaires étaient à la charge des communes, et même dans ma commune qui était hyper riche, ils n’ont pas eu les moyens de mettre en œuvre des activités intéressantes."
C'était une question aussi bien de moyens financiers que de moyens humains, car il y a une sacrée pénurie d'animateurs. Ils ont des horaires particuliers et pas facile les animateurs (horaires décalés).
Il fallait aussi réorganiser les créneaux pour toutes les sorties, prévoir une rotation pour le gymnase entre différentes écoles et collège de secteur... tout ça ça prend du temps.
"Dans notre école, ça s’est terminé en récré"
L'accueil de loisirs avait lieu dans les classes. Donc pour les élèves, il n’y avait pas de différence. Ils retournaient dans les classes, mais avec d'autres règles. Aucun respect du matériel. Les classes n’étaient pas rangées. Les profs n’étaient pas contents. Pour un enseignant, sa classe, c’est sa deuxième maison. Quand tu la retrouves sens dessus dessous, tu n’es pas de bonne humeur, voire en colère. Mais tu n’as pas ton mot à dire, vu que les locaux appartiennent à la Mairie.
"Pour que ça fonctionne, il faut que les enfants n’aient pas le même cadre quand c’est école et quand c’est le centre de loisirs. Quand tout est au même endroit, l’enfant ne déconnecte pas."
Les mercredis, les enfants n’allaient plus chez leurs grands-parents. Le lien inter-générationnel en a pris un coup ! Et nous, les maîtresses, on ne faisait plus d’activités avec nos propres enfants. Les élèves étaient fatigués, et l’après-midi, ils n’avaient plus envie d'aller aux activités extra-scolaires. D’ailleurs, si nous avions des enfants dans une autre commune que la notre, les horaires pouvaient être également différents ! Toute la logistique familiale des enseignants était contrariée ! Et si les 2 parents étaient enseignants dans 2 communes différentes, imaginez la gestion ! un casse-tête sans fin sans parler d’un surcoût financier !
En plus, nous, les enseignantes on était unanimes pour dire que le jeudi matin, on récupérait des élèves en état de nerfs. On en était venus à appréhender le jeudi matin. Ils n’avaient plus la coupure.
"Je sais que la recherche est en faveur des 4,5 jours, mais moi, pour les maternelles, la formule de 2013 ça ne marchait pas."
Dans notre école, quand les horaires étaient 13h30–15h15, les petites sections étaient à la sieste jusqu’à l’heure du périscolaire. On avait 5 matinées ultra productives, denses mais efficaces (8h30–11h45), une coupure méridienne plus courte (1h30, c’était mieux), mais l’après-midi, c’était difficile surtout pour les moyennes et grandes sections.
"Dans un monde idéal on aurait 5 matinées et pas d’après-midi. L'après-midi, temps de repos pour tous, activités intéressantes : sport, anglais, musique, arts plastiques. Faites de manière ludiques, pour que que les enfants sortent."
En moyenne et grande section, le temps de repos n’est pas toléré officiellement dans les textes. Or, les élèves ont besoin de temps de repos. Les IEN disent que si, au bout de 20 minutes, un élève de petite section ne dort pas, il doit aller travailler. Maintenant, les petites sections n’ont plus le droit à la récré de l’après-midi dans plusieurs académies. "Ils sortent de la sieste, ils sont frais et reposés, ils peuvent aller travailler. Mais les moyennes et grandes sections, eux, peuvent se défouler."
On a justifié la réforme de 2013 avec le rythme biologique. OK, mais alors faisons-le jusqu’au bout. Il y a un manque de cohérence. D’autant plus que, comme les classes suivent l’année scolaire et non l’année civile, il peut y avoir presque un an d’écart entre deux élèves d’une même classe.
"Ça a vraiment laissé des traces cette réforme. Ça a été un traumatisme. Aujourd’hui, quels que soient les termes d’une réforme, je ne suis pas sûre qu’elle soit acceptée."
En 2013, la réforme des rythmes scolaires portée par Vincent Peillon visait à mieux respecter les rythmes biologiques des enfants en allégeant les journées de classe. Le texte prévoyait 24 heures de cours par semaine réparties sur 9 demi-jours. Inspirée du modèle anglo-saxon, elle ambitionnait de libérer du temps pour des activités périscolaires, à la charge des communes. Sur le terrain, la mise en oeuvre n’a pas été à la hauteur des intentions. Résultat, 12 ans après, la très grande majorité des communes est revenue à la semaine de 4 jours.
Élise* était enseignante et directrice d’école au moment de la réforme. Dans son témoignage, elle nous partage les raisons de cet échec et aussi, les apprentissages à tirer de cette expérience pour la prochaine.

