La Brigade de l’égalité : les lycéen·nes s’engagent

Égalité filles-garçons ⚖️

LES PROFS QUI FONT BOUGER L’ÉCOLE

Maud Carlier-Sirat

Au lycée Jean-Jacques Rousseau de Sarcelles (95), Maud Carlier-Sirat, professeure de Lettres, et Aurélia Dufils, professeure documentaliste, ont cofondé la Brigade Égalité Filles/Garçons en 2020. Depuis, chaque semaine, des lycéen·nes volontaires s’y retrouvent pour apprendre, débattre et sensibiliser leurs camarades aux enjeux d’égalité.

La brigade de l’égalité, qu’est-ce que c’est ?

« L’objectif de cette Brigade, c’était d’offrir un espace aux élèves pour aborder les enjeux liés au sexisme et aux inégalités, et leur permettre d’élaborer des projets sur ces thèmes, de développer une culture de l’égalité dans l’établissement », explique Maud Carlier-Sirat. Chaque jeudi, sur la pause déjeuner, les volontaires se retrouvent pendant une heure au CDI. La participation est libre et ouverte aux élèves de tous niveaux, pour qu’ils et elles se nourrissent les un·es les autres.

Initialement, c’était simplement un lieu d’échange. Mais très vite, les élèves ont commencé à imaginer des projets concrets à partager avec leurs camarades. Trois fois par an, les travaux de la Brigade sont désormais présentés à l’ensemble du lycée, notamment lors de la Semaine de l’égalité, en mars. Les classes sont accompagnées par des professeurs du lycée et se déplacent entre les stands animés par leurs pairs, les élèves de la Brigade.

« On voulait que l’initiative des projets viennent des élèves, pas des professeurs. Partir de leurs envies, des questions qui les animent, des modalités de projets qu’ils et elles ont envie de mener. On mise sur leur inventivité, leur autonomie et leur capacité à porter des projets exigeants. Nous, les professeurs, on reste en retrait, on accompagne si besoin pendant l’élaboration des projets, on conseille et on rappelle les échéances ». À présent, ce sont quatre enseignants qui encadrent la Brigade Égalité. Maud et Aurélia ont été rejointes par Lucie Bernard, professeure de Lettres, et Pierre Tréheux, professeur de ST2S. La Brigade Égalité Filles/Garçons rassemble chaque année une trentaine d’élèves du lycée.

Le nom “Brigade Égalité Filles/Garçons” est resté le même depuis 2020. Il avait été choisi par les élèves de l’époque, suite à des discussions. L’idée était de faire écho aux “brigades de cuisine”, donc à la dimension d’un travail collectif et en équipe, mais aussi à l’idée que l’objectif était “l’action”, les actions concrètes pour l’égalité dans l’établissement, et qu’il ne s’agissait pas seulement d’un espace de discussion.

« Ce qui compte, c’est de créer des espaces où les élèves peuvent penser, discuter et agir »

Concrètement, comment se déroule une séance ?

Trois types de séances rythment la vie de la Brigade :

  • Les séances de discussion : les chaises sont en cercle, et la parole circule librement, autour de supports préparés par les enseignants ou avec l’aide d’intervenant·es extérieurs. Un cadre bienveillant et de non-jugement permet à chacun·e de s’exprimer. Aucune modalité stricte n’est imposée : débats mouvants, jeux, visionnage de films, tout est possible.

  • Les séances projets : les élèves se répartissent par petits groupes pour élaborer des projets, selon les thématiques qui les intéressent, et avancer sur leurs actions. Les enseignants passent entre les groupes pour répondre aux questions, aider à trouver sources, formats et idées.

  • Les sorties : rencontres avec d’autres établissements, mais aussi sorties au théâtre et au cinéma sur le thème de l’égalité.

En ce moment, les élèves travaillent sur la question « Où est le sexisme dans notre société en 2025?». Parmi les projets qu’elles et ils ont proposé :

  • Une remise en cause de la tendance des “gender reveal parties”, fêtes où l'on révèle le sexe du bébé qui va naître, pour questionner les stéréotypes associés aux filles et aux garçons, avant même la naissance.

  • Une réécriture de dessins animés jugés sexistes, pour permettre aux personnages féminins d’avoir un rôle plus important et moins stéréotypé.

  • Un escape game sur le cybersexisme pour réfléchir aux conséquences de la diffusion non consentie d’une photo intime

  • Une analyse d’extraits de mangas et de films d’animation pour identifier ce qui est sexiste (ou ne l’est pas) et pour quelles raisons

  • Une analyse de films cultes et des livres du programme scolaire de lycée à travers le test de Bechdel. NDLR : Le test de Bechdel évalue si une œuvre de fiction met en scène au moins deux femmes, qui sont nommées, et qui parlent ensemble d’un sujet autre qu’un homme.

« On sous-estime trop souvent ce dont les jeunes sont capables quand on leur fait confiance »

Quels effets avez-vous constaté ?

Les bénéfices sont nombreux. « Les réunions de la Brigade Égalité sont perçues comme une safe place, une bulle de bienveillance et d’écoute, précieuse pour les élèves et pour nous ! Les élèves de la Brigade nous disent qu’ils et elles se sentent mieux au lycée, et pour certains ou certaines élèves en décrochage c’est un moyen de se rattacher à la scolarité ».

Chez les autres élèves du lycée, les idées font leur chemin. On observe une vraie évolution entre la Seconde et la Terminale, notamment quand les élèves ont pu assister à plusieurs actions sur l’égalité dans leur scolarité. Depuis la création de la Brigade Égalité, le climat scolaire est globalement plus serein. Bien sûr, on observe aussi des résistances, mais on parvient dans l’ensemble à avoir des discussions et des échanges, plutôt que de s’arrêter sur des crispations.

Comment permettre à ce genre d’initiatives de se diffuser?

La Brigade Égalité Filles/Garçons a déjà essaimé dans d’autres établissements alentour. Mais les enseignantes mettent en garde : « Il faut s’adapter avant tout au contexte local et aux envies des élèves et des professeurs, il ne faut pas chercher à calquer ce modèle parce qu’il n’est pas transposable à l’identique partout. Il y a une multitude de possibilités de projets pour mobiliser les élèves autour des questions d’égalité, et c’est justement ce qui est motivant ! »

Les ingrédients-clés :

  • Partir des envies des élèves… et des professeurs !

  • S’adapter au contexte local (type d’établissement, calendrier, créneaux disponibles, moyens de communication,...)

  • Commencer avec des projets modestes pour lancer une dynamique

  • Travailler avec les collègues des autres disciplines ou avec d’autres fonctions au sein de l’établissement pour croiser les regards et créer du collectif

  • Organiser ses actions autour des temps forts, des dates importantes (25 novembre, 8 mars, 17 mai,...)

  • Se former et encourager ses collègues à se former pour prendre conscience de ses biais et questionner ses gestes professionnels au prisme du genre

  • Mettre en place des actions de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans son établissement (formation des personnels, mise en place d’un protocole de lutte contre les violences, associer les élèves à la lutte contre les violences,...)

Et au sein de la classe, comment atteindre l’égalité ?

Pour favoriser une plus grande égalité dans les prises de parole, Maud propose des pistes concrètes:

  • Se former : les formations sur l’égalité permettent de prendre conscience des stéréotypes de genre, du sexisme et de nos biais, mais aussi de questionner la manière dont on distribue la parole en classe.

  • Rendre les élèves acteurs et actrices : créer une grille d’observation, chronométrer le temps de parole filles/garçons, compter le nombre d’interruptions, compter le nombre de fois où les professeurs interrogent les filles/les garçons et analyser le type de tâche pour laquelle ils ou elles sont interrogés… Il y a quelques années, un binôme d’élèves de la Brigade a mené une enquête sur le temps de parole des filles et des garçons pendant les cours, elles ont élaboré leur propre grille d’observation et ont assisté à plusieurs cours du lycée pour analyser les prises de parole. Elles ont ensuite présenté leurs résultats en conseil pédagogique aux professeurs du lycée!

  • Expérimenter des dispositifs plus égalitaires, comme le Jigsaw (ou classe puzzle) : chaque groupe étudie un document différent, puis les groupes sont mélangés et on forme de nouveaux groupes dans lesquels chaque élève transmet son savoir aux autres. Le travail est coopératif: la participation de chaque élève est indispensable pour mener l’activité. “Chaque élève a eu le temps de développer une expertise sur le document, et se sent plus légitime à prendre la parole. Et les élèves sont plus à l’aise pour parler dans un petit groupe qu’en collectif”

Autres astuces : instaurer un temps silencieux avant les échanges pour laisser à chacun·e le temps de formuler ses idées et d’élaborer sa pensée. On peut aussi alterner les prises de parole fille/garçon. « Le cours dialogué est le plus inégalitaire. Seuls quelques élèves participent, en réalité, et ils ont tendance à saturer l’espace sonore de la classe. À l’inverse, les dispositifs coopératifs rééquilibrent les choses et jouent un rôle essentiel quand on cherche à développer une pédagogie plus égalitaire ».

Pour en savoir plus sur les actions des élèves de la Brigade Égalité Filles/Garçons, vous pouvez suivre le compte instagram animé par les élèves : @brigade_jjr