L'École c'est comme une prison ?
Ouvrir l'École à son environnement 🔓
PAROLES DE CHERCHEURS
Pascal Clerc
Pascal Clerc est géographe rattaché au laboratoire EMA (École - Mutations - Apprentissages) et Professeur des Université Émérite. Dans son dernier livre Émanciper ou contrôler sorti en août 2024 aux éditions Autrement il interroge la tendance des Écoles françaises à se fermer sur elles-mêmes, jusqu'à être vues par certains comme des "prisons". Il y pose les questions suivantes : « L’école doit-elle protéger du monde et pour cela s’en séparer ? Ou, au contraire, faut-il l’ouvrir aux grands vents du dehors, au monde tel qu’il est ? ». Peux-tu nous présenter ton projet ?
Nous avons eu la chance de rencontrer Pascal, en préparation de notre newsletter #2 sur l'ouverture de l'École à l'extérieur (à lire ici)
"Dans les entretiens que j’ai menés, la comparaison avec l’univers carcéral revient fréquemment. Bien que probablement excessive, elle donne un signal à ne pas négliger."
L’École fermée sur l’extérieur : d’où ça vient ?
Le modèle scolaire que nous connaissons est hérité de la IIIᵉ République, dans ses finalités et dans sa forme. Historiquement, l’objectif de l’École est de former des citoyens loyaux vis-à-vis de la République, en encadrant l’assimilation d’un socle de valeurs et de références communes.
Elle s’appuie pour cela sur un modèle de pédagogie dit “ simultanée” : les élèves sont regroupés par classe d’âge, et reçoivent en même temps un même enseignement, dans un espace physique et temporel strictement défini.
Ce modèle, qui reste aujourd’hui dominant, vise d’abord à contrôler, plus qu’à émanciper. Il a largement influencé le rapport que l’École entretient à l’extérieur.
Alors que l’intérieur de l’école est conçu comme un lieu de contrôle où tout est organisé pour encadrer les élèves, le dehors (école en forêt, dans la rue…) est incontrôlable et potentiellement émancipateur.
L’on distingue 3 grands types de rapports à l’extérieur
Le dehors comme ressource qui conduit à favoriser les sorties, multiplier les contacts avec des personnes extérieures, organiser des cours en forêt ou dans des lieux non scolaires.
Le dehors comme distraction, qui empêche de travailler, s’illustre dans l’architecture des écoles (barrières, claustras…)
Le dehors comme menace. L’École doit protéger les élèves d’un extérieur perçu comme dangereux (SAS, interphones…)
Ces deux dernières conceptions se sont largement imposées. C’est précisément pour cette raison que l’école tend à se refermer sur elle-même, jusqu’à ressembler, toutes proportions gardées, à une prison.
À quoi ça sert de fermer l’École ?
Ces dernières années, la séparation entre l’École et l'extérieur s’est largement accentuée notamment à la suite de l’assassinat de Samuel Paty.
Tous les acteurs de l’éducation que j’ai interrogés pour mon livre s’accordent sur un point: un enfant a besoin de sécurité affective et physique; mais l’idée selon laquelle on pourrait sécuriser les élèves en barricadant les bâtiments est une illusion. La seule véritable protection vient de la présence humaine.
Cette illusion du cloisonnement pose problème car elle conduit à une escalade: plus on verrouille les établissements, plus ceux qui ne le sont pas deviennent des cibles évidentes. Si une rue compte dix maisons ultra-sécurisées et une seule laissée ouverte, celle-ci attirera inévitablement les intentions malveillantes.
Comment pourrait-ce être autrement ?
Je ne suis pas très optimiste quant aux évolutions possibles.
Lors des conférences que je donne, je vois de nombreux enseignants, de tous les niveaux, qui s’interrogent voire qui accompagnent à leur échelle ce mouvement d’ouverture. Il existe des milliers d’ impulsions de changement. Leur passage à l’échelle nécessite un réel changement d’état d’esprit.
Prenons l’exemple des projets de végétalisation des cours de récréation. Ils semblent à première vue intéressants, car rétablissent une relation avec l’environnement. À la condition que la végétalisation ne soit pas uniquement perçue comme… une nouvelle norme (certes mieux que du bitume) mais qui reste un moyen de contrôler et de normer le dehors.
Je milite pour le modèle de la Cour Punk, inspiré du jardin punk, avec des espaces ouverts,, des brèches, des ouvertures possibles, une vraie nature libre, et non une mise en cage du végétal.
Ce modèle est aujourd’hui très difficile à faire accepter. L’École est à l’image de notre société.