Mettre la coopération au coeur de l'École

Coopération 🤝

PAROLES DE CHERCHEURS

Sylvain Connac

Alors Sylvain, peut-on apprendre à son rythme dans une classe de 30 élèves ?

Apprendre et à son rythme cela ne fait pas bon ménage. Si on reste à son rythme on n’apprend rien. Apprendre c’est aller au-delà de ce que l’on peut faire soi-même.

Dans les classes hétérogènes, l'objectif c’est justement de ne pas laisser les élèves travailler à leur rythme, mais bien de faire en sorte qu’ils soient conduits vers des acquisitions scolaires qu’ils n’auraient pas découvert par eux-mêmes.

Ensuite, le nombre d’élèves par classe n’est pas un facteur qui modifie la réussite scolaire. En revanche, le nombre de mètres carrés par élève serait un facteur plus important. En effet, apprendre n’est pas une activité passive : les élèves ont besoin de prendre des initiatives pour apprendre. Ces initiatives sont aussi de l’ordre des libertés et du déplacement.

Quel cadre pour permettre aux élèves d’aller au-delà de ce qu’ils savent déjà ?

Pour aller au-delà de ce qu'ils savent déjà, les élèves doivent pouvoir travailler par eux-même. Il faut donc trouver un équilibre dans la journée entre le travail personnel, collectif (tous les élèves font le même travail au même moment) et coopératif (entraide et tutorat entre élèves). La logique de ces situations coopératives répond aux dimensions sociales de l'apprentissage : on ne peut apprendre que par soi même (l’effort est personnel) mais on apprend avec l’aide des autres.

Les méthodes coopératives ont deux avantages pédagogiques forts : pour les tutorés, appartenir à un réseau d’échanges en mesure d’apporter des informations rapides et efficaces ; pour les experts, voir leur apprentissages se renforcer, devenir des personnes ressources, participer à une communauté de solidarité.

Concrètement, comment ça se passe dans la classe ?  

Il y a outil intéressant : les ceintures de couleur.

NDLR : les ceintures de couleur ont été conceptualisées par Fernand Oury au milieu du XXème siècle. Judoka aguéri, il avait remarqué la capacité des judokas d'un même groupe à coopérer malgré les écarts de niveaux. Il a alors cherché à transposer ce modèle dans la classe. Dans chaque domaine (orthographe, grammaire, calcul, sciences…), les élèves progressent à travers des ceintures de couleur, chacune correspondant à un ensemble de compétences identifiées. Lorsqu’un enfant est ceinture verte en orthographe, il s’entraîne aux items de la ceinture bleue et demande à en passer les épreuves une fois cet entraînement achevé. 

L'intérêt des ceintures, c'est qu'elles fixent aux enfants des objectifs qui sont à la fois à leur portée et qui ne correspondent pas à ce qu’ils savent déjà. Et cette méthode est tout aussi efficace au collège et au lycée, où elle est parfaitement adaptée aux échéances de type brevet et bac. 

L’association Pidapi, qui regroupe un collectif d'enseignants, a développé un outil basé sur les ceintures de couleur et adapté aux programmes scolaires. L'objectif c’est de permettre aux enseignants qui souhaitent mettre en place un enseignement personnalisé sans avoir à tout construire eux-même. C’est donc du matériel d'entraînement et d’évaluation. Attention, ce n’est qu’un outil mais pas une pédagogie. La pédagogie est à construire entre moments individuels, collectifs et coopératifs.

Même si c’est très difficile de mesurer et “prouver” l'efficacité des pédagogies coopératives car il y a beaucoup d’autres facteurs qui peuvent entrer en compte (l'enseignant, la période de l’année… etc), on a quand même montré une certaine cohérence pour la réussite des élèves.

Alors, les classes d'âge ont-elles vraiment un sens ? 

Regrouper les enfants par classe d'âge n’a pas de sens, ni d'explication pédagogique mais une raison historique. Elle date de 1833 et de la Loi Guizot.

En 1833, François Guizot, alors ministre de l’Instruction publique, impose aux communes de plus de 500 habitants d’entretenir une école. À l’époque, dans une France encore rurale, les petites écoles pratiquent surtout la méthode individuelle : tous les enfants, d’âges et de niveaux différents, sont rassemblés dans une même salle. Le maître enseigne individuellement à chaque élève appelé à au tableau, pendant que les autres restent inactifs.

Avec l’explosion du nombre d’écoles en 1833, un autre modèle devient nécessaire. Deux grands courants s'affrontent 

  • Dans les pays anglo-saxons, la méthode mutuelle s'impose : sous l’autorité d’un maître, des moniteurs encadrent des petits groupes d’élèves. Cette méthode repose sur « la réciprocité de l'enseignement entre les écoliers, le plus capable servant de maître à celui qui l'est le moins » (Joseph Hamel, L'enseignement mutuel, 1818). Cette méthode, issue d'un héritage protestant, est jugée beaucoup plus efficace que la méthode individuelle.

  • Les écoles chrétiennes, elles, pratiquent la méthode simultanée : tous les élèves, du même âge, écoutent ensemble la leçon du maître, comme les fidèles écoutent le prêtre à l’église.

L’essor de la méthode mutuelle provoque de vives réactions de l’Église catholique, qui y voit une menace libérale et protestante. Le projet de loi visant à imposer la méthode mutuelle est finalement rejeté par les députés.

Guizot propose alors une autre loi, fondée sur la méthode simultanée, qui regroupe les élèves dans une même classe par niveau, selon trois ordres : les faibles, les médiocres et les forts (une organisation qui donnera plus tard naissance au découpage en CP, CE et CM).

Ce modèle, encore dominant aujourd’hui, n’a pas été pensé pour des raisons pédagogiques, mais pour des raisons politiques et religieuses.

Plusieurs travaux qui se sont intéressés au multi-âge, notamment dans les écoles de campagne. Les élèves réussissent mieux aux évaluations nationales quand ils évoluent dans ce type de dispositif.

De quoi aurait-on besoin pour que les dispositifs d’apprentissage personnalisé se généralisent ? Quels sont les blocages et comment les dépasser ?

Le premier blocage est politique. Les discours sur l’école sont souvent limités, souvent passéistes, et portés par des personnes qui n’y connaissent pas grand-chose au monde de l’école, mais promptes à émettre des avis péremptoires qui entretiennent la confusion, voire la haine. L’alternance de réformes inachevées, rarement conçues par de vrais experts de l’éducation, en est une conséquence directe. Il faudrait un véritable sursaut politique, sérieux et solide… mais difficile de savoir quand il adviendra.

Le deuxième blocage est culturel : la sociologie de l’école montre que la "forme scolaire" reste très verticale et magistrale, loin d’une culture de coopération. Tout ce dont on a hérité que l’on de la loi Guizot justement.

Enfin, le sinistre de la formation des enseignants en France … Les enseignants se forment par eux-mêmes sur ces sujets de coopération, de personnalisation des apprentissages, mais ne sont pas collectivement formés par l'Institution. On voit d'ailleurs qu'il y a beaucoup plus de classes personnalisées dans le second degré, pour la simple raison que la formation continue y est à l’initiative des professeurs (contrairement au premier degré). 

Nombre d'entre eux disent être entre deux choix : soit ils démissionnent; soit ils demandent des formations à l’école académique de formation continue (EAFC) sur ces sujets. Et il y a pas mal de formateurs académiques spécialisés dans le plan de travail, la coopération, l’apprentissage personnalisé. C’est alors plus facile de se lancer en étant accompagné et formé

Tant qu’il n’y aura pas une formation cohérente,  la coopération, cela ne va pas leur tomber dessus tout seul.

Sylvain Connac, est enseignant-chercheur en sciences de l’éducation à l’université Paul-Valéry de Montpellier et au LIRDEF (Laboratoire interdisciplinaire de recherches en didactiques éducation formation). Ancien professeur des écoles, il conduit des recherches pédagogiques sur la prise en compte de la diversité des élèves, avec des équipes de l’école maternelle au lycée.

Aujourd'hui, le débat public sur l'École se résume souvent à la question du nombre d'élèves par classe. Peut-on vraiment enseigner à 30 élèves aux besoins très différents ? Peut-on vraiment progresser dans une classe à 30 ? Pour éclairer le débat, nous donnons la parole à Sylvain Connac, dont on peut dire qu'il est LA référence en matière de coopération à l’École.