Une pédagogique féministe au quotidien
Égalité filles-garçons ⚖️
LES PROFS QUI FONT BOUGER L’ÉCOLE
Audrey Chenu
Audrey Chenu est enseignante en CP/CE1 en REP+ à Saint Denis (93). Depuis 15 ans, elle explore les leviers qui favorisent l’égalité filles-garçons à l’école primaire. En 2023, elle publie avec sa collègue Véronique Decker "Entrer en pédagogie féministe", un ouvrage destiné à toutes celles et ceux qui souhaitent réfléchir et agir pour une éducation féministe dès la maternelle. Nous lui avons demandé de partager son expérience.
Audrey, aurais-tu des bonnes pratiques à partager aux enseignant·es qui nous lisent et qui souhaiteraient avoir des pratiques de classe plus égalitaires ?
S’observer, et faire observer
Audrey invite ses élèves à observer leur environnement, comme des “petits sociologues”. En début d’année, elle leur propose par exemple de dessiner la cour de récréation en plaçant les filles et les garçons. « Ensuite, on regarde les schémas ensemble. On constate. C’est un point de départ. »
Elle met aussi en place des grilles d’observation conçues avec les enfants pour objectiver certaines dynamiques : compter les temps de parole, ou le nombre d’heures de sport pratiquées en dehors de l’école par les filles comparé aux garçons. « Ça permet de rendre visibles des habitudes qu’on ne remarque plus. »
Agir par le sport, l’égalité par le corps
Audrey s’appuie sur la pédagogie Freinet pour organiser chaque semaine un Conseil, espace de parole régulier entre élèves. Et depuis quinze ans, une problématique revient systématiquement : le partage de la cour, et notamment la place du foot.
Pour y répondre, elle a mis en place, dans son ancienne école, des ateliers de football réservés aux filles, en cycles 2 et 3 : tirs, dribbles, matchs…: l’objectif était de leur permettre de se sentir légitimes à jouer. Et ça a porté ses fruits : sur 250 élèves, 40 filles avaient participé.
Audrey en est convaincue : la clé, c’est le sport. Elle veille à en faire tous les jours, en variant les activités : vélo, roller, sport collectif… « Je forme des groupes de niveau, je préviens les familles pour que les filles viennent avec une tenue confortable. Il faut qu’elles puissent se salir, bouger. »
Mais elle insiste : sans l’implication du périscolaire, tous ces efforts peuvent être réduits à néant. « Il faut du temps, de la cohérence, et un vrai travail d’équipe."
Ouvrir des espaces de parole, ne rien laisser passer
Face aux stéréotypes ordinaires (“les filles ne savent pas courir”, “il m’a traité de sorcière”...) Audrey ouvre systématiquement des espaces de discussion. « Il ne faut pas banaliser. Il faut poser des mots, écouter, et surtout ne pas donner des solutions toutes faites. Laisser les enfants les trouver, ça les rend acteurs. »
La littérature jeunesse est aussi un bon levier. Par exemple, la semaine dernière 2 élèves de ma classe ont décidé de lire à leurs camarades “Je me marierai avec Anna”, qui raconte l’histoire d’une fille qui veut se marier avec une autre fille.
« Il y a dix ans, on n’aurait pas pu en débattre. Deux filles l’ont choisi à la bibliothèque, et quand je leur ai demandé pourquoi, elles m’ont dit : “C’est important que tous les enfants sachent qu’ils ont le choix.” »
En classe, elle veille aussi à ce que l’égalité se joue dans les détails : responsabilités tournantes, réflexion sur les métiers, invitations de femmes rôle-modèles (ex : femme pompier), valorisation des compétences psychosociales...
Et les résultats sont là : « Une de mes élèves, très inhibée en début d’année, a fait un énorme bond en termes de confiance en soi. Sa mère l’a remarqué. »
Quels leviers pour diffuser ces pratiques plus largement ?
Pour Audrey, le premier levier, c’est la formation. Et elle est encore trop absente dans le premier degré. « Il n’y a pas de rejet de ces sujets, mais il n’y a pas non plus de soutien clair. On dit que c’est bien, mais on ne met rien en place. » Elle plaide pour une formation obligatoire, outillée et incarnée.
Elle recommande notamment l'ouvrage de Naïma Anka Idrissi, Fanny Gallot, Gaël Pasquier, Enseigner l’égalité filles-garçons.
Elle insiste aussi sur l’importance de travailler ces questions dès la maternelle : « Plus on agit tôt, plus les réflexes changent. »
Enfin, Audrey appelle à une dynamique collective : travailler en équipe avec les collègues, impliquer les parents, s’appuyer sur les animateurs périscolaires… et reconnaître ces pratiques dans le cadre de l’école. « Il faudrait des quotas paritaires, un vrai partenariat éducatif, des moyens. C’est une question de volonté politique. »
“L’égalité filles-garçons ne se décrète pas. Elle se construit pas à pas, jour après jour, en classe, dans la cour, dans les corps et dans les mots.”
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